UNE CONVERSATION SUR L’ART

Par Jean Klein.

EXTRAITS

Chercheur. Depuis un moment j’attends de vous demander à tous deux ce que vous pensez qu’est réellement l’art. Est-ce une collection amorphe d’expressions humaines ou bien pouvons-nous dire plus précisément ce que c’est ?

Philosophe. En dernier lieu tous les objets pointent vers la vérité et la beauté mais il y a des objets qui, par excellence, nous ramènent à la vérité et à la beauté. Ce sont des objets d’art.

Chercheur. Est-ce que tout ce que nous appelons généralement art a ce pouvoir?

Philosophe. L’art qui percute les sens et nous amène au-delà d’eux à un état éternel pourrait s’appeler « art sacré ». L’art décoratif expérimental nous laisse dans les sens, de sorte qu’il peut être appelé séculier.

Ces grandes œuvres « sacrées qui ont le pouvoir symbolique de nous éjecter dans le domaine impersonnel, sont très rares.

Chercheur. Parlons de ces œuvres d’art, Qu’entendez-vous lorsque vous dites qu’elles percutent les sens et nous emmènent au-delà ? […]

Artiste. N’est-ce pas cette joie esthétique que je ressens parfois lorsque je suis si absorbé par une œuvre d’art qu’elle n’est plus présente en tant qu’objet ? Il ne reste qu’un sentiment d’émerveillement, de joie et d’expansion dans lequel j’oublie l’espace et le temps et je ne suis plus dans mes sens, comme vous dites.

Philosophe. Exactement. Dans la joie esthétique nous revenons à nous-mêmes, près de notre être originel.

La joie des grandes œuvres d’art est qu’elles ont le pouvoir de nous diriger vers ce que nous sommes, vers cette nudité et ce ludisme d’être simplement, libre de toute pensée et conscience de soi.

Chercheur. Qu’y a-t-il exactement dans ces œuvres d’art, qui leur donne le pouvoir de nous éjecter dans l’éternité ?

Artiste. C’est la composition parfaite et l’équilibre de la couleur, de la forme et du son qui révèlent les éléments fondamentaux, la lumière, l’espace et le silence. Bref, l’œuvre doit être harmonieuse.

Chercheur. Pourrions-nous dire que l’harmonie de l’œuvre fait écho en nous, nous rappelant notre propre harmonie et que ce souvenir est la sensation d’émerveillement dont vous avez parlé ? La globalité est ainsi commune à l’œuvre et à l’observateur ; sinon, comment pourrions-nous en avoir un souvenir aussi fort ?

Philosophe. Oui, en effet. Les éléments fondamentaux sont communs à tous. L’Art est une réflexion de l’harmonie que nous formons en commun avec toutes choses. Il contient la globalité en lui-même. La nature est harmonieuse et l’être humain fait partie de la nature.

Chercheur. Lorsque nous utilisons le mot « harmonie », qu’entendons-nous exactement ? Cela ne doit rien avoir à faire avec la symétrie puisque la nature est tout sauf symétrique.

Philosophe. L’harmonie est le Tout à l’intérieur duquel tout existe sans conflit. C’est la même chose que la beauté.

Notre nature réelle et la nature réelle de l’œuvre d’art sont une seule et même chose. L’œuvre d’art est une manifestation, une suggestion, si vous voulez, de cette unité.

Chercheur. Donc, lorsque nous qualifions de belle une œuvre d’art c’est parce qu’elle nous rappelle et suggère notre propre beauté. La beauté serait-elle donc subjective, en un sens ?

Philosophe. Pas du tout. Dans la globalité il n’y a ni sujet ni objet, donc comment pourrait-il y avoir subjectivité ou objectivité? La beauté est une, bien que ses expressions soient nombreuses, Dans la beauté, il n’y a pas d’objet donc comment pourrait-il y avoir un sujet ?

Chercheur. Bien que la beauté ne soit pas relative ou comparable parce qu’elle ne réside pas dans le soi-disant objet, nous pourrions cependant dire que certaines œuvres inspirent la beauté par leur propre beauté. Mais lorsque nous regardons la variété des choses qui inspirent notre totalité, notre divinité, il est difficile de voir un fil quelconque qui les relierait toutes. Notre artiste a dit que c’était la composition qui révélait les éléments fondamentaux mais cela ne m’aide pas réellement. Qu’est-ce, plus précisément dans certains objets, qui leur donne leur pouvoir symbolique de suggérer notre nature réelle au-delà des sens ?

Artiste. La composition est telle qu’elle libère la beauté et l’harmonie. Elle ne met pas l’accent sur la partie objective ou matérielle de sorte que vous n’êtes pas maintenu dans l’anecdotique mais que vous êtes pris dès l’abord par les éléments fondamentaux vers lesquels tend la composition.

Les grandes œuvres vous appellent au moyen de diverses techniques vers la dimension spatiale, intemporelle. Le volume est conçu de telle sorte qu’il libère l’espace, que la couleur libère la lumière, que le son libère le silence.

Chercheur. Ces éléments fondamentaux sont-ils notre nature réelle ?

Philosophe. Ils sont la manifestation la plus proche de l’être. Ils sont l’existence pure, sa base, en contraste avec l’existence projetée que nous prenons pour argent comptant. Ils n’ont rien à voir avec un point de vue. Lorsque vous êtes ramené à l’existence pure dans la lumière, le silence et l’espace, vous êtes dans la proximité de l’être qui est l’arrière-plan de toute manifestation et d’où provient toute existence. […]

Source : Éditions Qui suis-je – LA QUÊTE DU SACRÉ

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