MAÎTRESSE EN TRANSITION !

Être enseignante en maternelle aujourd’hui pour demain.

Dans un monde qui cherche son sens d’être, la liberté, la justice et la solidarité, les forces de changement se tournent naturellement vers l’éducation. Les parents, les éducateurs et les enseignants sont sur la sellette : on attend d’eux qu’ils changent leurs pratiques et leurs méthodes pour former des êtres libres et responsables, prêts à relever les défis de demain.

Le ministère de l’Éducation Nationale n’est pas en reste, lui qui a annoncé dans sa circulaire de rentrée 2023, entrer dans « une démarche collective de transformation ». À supposer que nous soyons d’accord sur les motifs, nous savons déjà qu’il ne suffira pas de la décréter ! On ne change pas parce qu’on veut changer, on change quand notre perception évolue et notre perception évolue positivement quand elle intègre une conscience élargie, quand elle inclut des données essentielles que jusque-là on avait ignorées ou refoulées.

Maîtresse en maternelle en fin de carrière, je vis ce changement de paradigme qui me fait passer, pour ainsi dire, de l’enseignante « dragon » qui a peur de perdre le contrôle et n’ose pas trop s’éloigner des vieilles pratiques qui « ont fait leurs preuves », à l’enseignante « chef d’orchestre » qui, abandonnant sa baguette aux forces vives de la Vie, fait confiance en chacun et voit s’élever une symphonie inattendue ! Il ne s’agit pas d’une énième transformation pédagogique dans le sillage de Rousseau et de tous les pédagogues qui ont suivi, mais plutôt d’une mutation dans la conscience humaine laquelle reprend sa souveraineté en réaction au matérialisme forcené qui nous a dégradés jusqu’à la robotisation.

Face à 28 ou 30 enfants c’est d’abord le lâcher-prise avec ma volonté de contrôle qui m’ouvre à plus d’empathie et de compréhension de ce qu’un enfant peut éprouver quand on cherche à s’imposer à lui. C’est mon ouverture progressive à la force de l’amour qui me guérit de la tyrannie pour créer le lien d’unité entre tous sans lequel la gestion de la classe n’est qu’une conflictualité réglée. C’est l’exercice de la pleine présence dans l’instant et avec les enfants qui m’ouvre l’accès à l’intuition d’où jaillit l’idée ou l’acte juste.

Retrouver l’axe de mon être, voir l’essentiel autour duquel tout peut se décliner de façon cohérente, m’a conduite prioritairement à trouver les outils1 pour éveiller les enfants à leur conscience profonde, leur faire découvrir leur référence intérieure, afin qu’ils développent leur autonomie de pensée et soient responsables de leurs actes.

Toutes les pédagogies – innovantes ou pas – développent, d’une manière ou d’une autre, l’intelligence spéculative, beaucoup plus rarement l’intelligence du coeur, celle qui nous guide et nous éclaire sur notre chemin existentiel en nous incluant dans le contexte universel. En éveillant à l’intelligence sensible pendant que l’on travaille au développement du savoir et de l’intelligence analytique, on met les enfants en contact avec la part d’eux-mêmes reliée aux autres ; on diminue donc ainsi les possibilités de compétition, de rapports de force et de conflits. Les relations s’apaisent et la vraie solidarité apparaît.

En ce qui concerne la liberté, question centrale dans l’éducation, elle est pour moi avant tout celle de la liberté de conscience exercée au sein d’un cadre bien défini. J’ai mis beaucoup de temps à appréhender cette liberté, à me donner le droit d’en donner les moyens aux enfants. Je travaille avant tout avec constance à rassembler l’attention des enfants, à leur apprendre une posture où le corps est en équilibre et la respiration non entravée, à les entraîner à des exercices de maîtrise de soi (se déplacer sans bruit, fermer une porte sans la claquer, parler à mi-voix, rester un moment en silence…). Au bout de quelques mois, c’est une deuxième nature qui s’installe, et les activités et jeux libres peuvent alors prendre toute leur place dans l’épanouissement des enfants. Leur liberté ne génère plus l’agitation désordonnée qui, le plus souvent, fait renoncer à ces espaces d’apprentissage fondamentaux et de vie réelle.

L’enseignement actuel est encore beaucoup trop réduit à des exercices formels où l’on contraint le mouvement des enfants et où l’on fait de la soumission passive une définition erronée de la sagesse. Mettre l’essentiel au coeur de ma pratique m’a nécessairement conduite à simplifier mes préparations, à lâcher la pression, à dépouiller le cadre pédagogique (le décor de la classe, le nombre d’activités, la sélection des jeux et des livres, la limitation des consignes, le ralentissement du débit de parole, etc.) En me libérant progressivement des contraintes sécurisantes pour le mental, je libère l’initiative et la créativité des enfants dans un contexte où l’ordre est de moins en moins imposé par des règles extérieures mais intégré comme un axe de conduite intérieur.

L’autre question liée intrinsèquement à la liberté est celle de l’autorité. Il est grand temps d’arrêter de chercher à imposer des principes ou des valeurs par la force, le chantage, la culpabilisation ou la peur : l’enfant peut être renvoyé à lui-même pour réguler son comportement et faire des choix responsables. Dans ma classe, les enfants ne sont pas livrés à eux-mêmes, je ne laisse rien passer de ce qui ne va pas dans le sens de leur évolution positive, mais je tâche de les rendre autonomes en les renvoyant prioritairement à leur propre ressenti. Ils développent ainsi une éthique personnelle juste, ce qui me dispense d’imposer une morale collective. En vivant tous avec la référence commune de l’autorité intérieure, la paix s’invite dans le collectif.

Cette approche n’est pas une méthode à appliquer et n’est pas faite pour produire des miracles… Dès que j’attends un résultat, j’exerce un pouvoir. Si je prends les choses telles qu’elles viennent, telles qu’elles sont, y compris le degré de perturbation et d’agression de la société ambiante qui nuit profondément aux enfants, je suis plus apte à trouver des réponses qui tendent à ramener un peu d’équilibre. Si je lâche prise, que j’accepte de ne pas tout contrôler, je deviens créative pour mieux répondre au vrai besoin de mes élèves. Curieusement, mon critère de « réussite » réside dans le degré où je me recharge au contact des enfants au lieu de m’épuiser.

L’éducation de demain n’aura sans doute rien à voir avec celle d’aujourd’hui ; elle sera contraire à la massification du genre humain, elle sera à la hauteur de la dignité retrouvée et des défis à relever. Le chemin se prépare en se transformant soi-même. Les parents, les éducateurs et les enseignants sont en transition…

1 Johan (2015), La leçon de Professeur Hibou, Les ateliers de la plume Editions. https://www.vivrelibre.net/approche-de-lassociation-vivre-libre/#lerecueil

 

Par Diane Combes

Source : Témoignage de Diane Combes, enseignante en maternelle, 2023.

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