LETTRE À UN LIBRE-PENSEUR

Par Alphonse Jacquel

Entre un libre-penseur et un homme libre, je vois un fossé profond.

Le libre-penseur peut fort bien être marxiste, ou officier d’une armée bourgeoise ou tout simplement adhérent d’un système d’émancipation sociale. En se laissant volontairement accrocher à quelque chose, il ne se doute pas qu’il s’emprisonne.

L’homme libre tel que je l’entends, ne s’accroche à rien ; les mots église, parti, patrie, clan, frontières, ne signifient plus rien pour lui. Lui demeure en dehors, en liberté, en pleine lumière, agissant selon son cœur, et jamais à contre-courant.

Vous allez me dire qu’il faut bien des lois, des règlements, des frontières à ne pas dépasser. Cela est vrai pour les esclaves, et pour les tyrans aussi, car eux sont aussi des esclaves. Les lois ne sont plus nécessaires pour des hommes libres.

Ceux-ci font confiance à la vie à laquelle ils se donnent ; ils ont automatiquement la foi (à ne pas confondre avec la croyance, qui est son contraire) ; ils voient que l’eau va à la rivière et la rivière au fleuve et le fleuve à la mer. Ils savent que l’on récolte ce qu’on a semé. Aucune idéologie ne vient obstruer leur horizon.

Pour l’homme libre, la loi des équivalences, celle de l’équilibre, celle de la justice, celle des compensations, ne sont pas de la foutaise, elles sont aussi réelles que les lois de la physique ou de la chimie. Et cela lui suffit pour vivre, et vivre sans peur.

Source : Libre examen juillet-août-septembre 91, no19.

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