LA JUSTICE

Par Soljenitsyne

Extrait du livre « Soljenitsyne, sa vie » écrit par David Burg et Georges Feifer

La justice constitue, à travers les âges, un attribut permanent de l’humanité, et même lorsqu’en certaines périodes de « rapetissement » elle disparaît du champ de la perception de la majorité des êtres humains, elle ne meurt jamais.

Selon toute apparence, ce sens de la justice est inné en l’homme puisque l’on ne peut nulle part ailleurs en découvrir la source. Pour que le sens de la justice soit, il suffit qu’il y ait des hommes vivants, même s’il en est très peu qui l’éprouvent… Dans les périodes de dépravation générale où se posent des questions telles que « au nom de quoi ferait-on un effort ? au nom de quoi consentirait-on un sacrifice ? » il est une réponse que l’on peut faire avec certitude : au nom de la justice.

Il s’agit d’une notion qui n’est d’aucune manière relative pas plus que la conscience n’est en aucune façon relative. À la vérité, le sens de la justice, c’est la conscience – non pas des individus mais de l’humanité considérée dans son ensemble. Si, dans quelque situation que ce soit, au sein de la vie sociale, vous agissez conformément à ce sens, vous ne tomberez jamais dans l’erreur… Cela nous donne la possibilité de toujours demeurer actifs sans jamais perdre courage.

Et, je vous en prie, ne me dites pas que « chacun comprend la justice à sa manière ». Non ! On a beau crier, prendre autrui à la gorge, se lacérer la poitrine, on l’entend en soi-même aussi infailliblement que les injonctions de sa conscience (comme dans notre vie privée aussi, il nous arrive parfois de noyer notre conscience dans les cris).

Source : Soljenitsyne, sa vie, Éditions Robert LAFFONT – 1973

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