MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR

par Geneviève Colletti, éducatrice

C’est avec un vif intérêt que je découvre l’histoire La leçon de professeur Hibou ainsi que les commentaires des parents et des professionnels qui témoignent de ses effets sur le quotidien des jeunes enfants.

J’ai commencé ma carrière professionnelle en tant qu’éducatrice de jeunes enfants en crèches et jardins d’enfant. Puis, je me suis orientée vers le suivi d’adolescents en difficulté en intégrant la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Je suis donc passée de l’accompagnement du jeune enfant dans un environnement naturel, à celui des adolescents, âgés de 13 à 18 ans, délinquants, voire criminels, en suivis judiciaires plus ou moins privatifs de liberté.

De la salle de jeu de la crèche au couloir des cellules d’une Maison d’Arrêt, je me suis beaucoup interrogée sur notre responsabilité d’adultes et de citoyens en matière d’éducation. Je garde en référence les jeunes enfants avec leurs yeux qui pétillent, leur émerveillement devant chaque petite découverte de la journée, leur envie d’agir : la vie qui déborde. Comment une dizaine d’années plus tard cette énergie de vie a-t-elle disparu pour faire place à la violence, la révolte, la dépression, le désespoir ? Ces adolescents qui se mettent en danger et mettent en danger autrui, ne représentent-ils pas la partie émergée  de l’échec éducatif de notre société ?

Lors de mon intervention auprès des adolescents, je dois les faire réfléchir pour les amener à prendre conscience de leur acte, de sa gravité, du préjudice causé à la victime et à lui-même. Dans ce travail, la difficulté principale avec l’adolescent n’est liée ni à son niveau d’instruction, ni à son potentiel intellectuel, ni même à son appartenance culturelle ou religieuse, mais à sa capacité d’ouverture à l’intelligence du cœur, à accéder à son humanité, au bon sens commun, au contact avec sa conscience profonde source d’une libre reconnaissance de l’autorité, du vrai, du juste.

« Réfléchir » et « faire prendre conscience de son acte », ce travail nécessite une capacité d’introspection, de retour sur soi, un accès à son intériorité. Les adolescents que je rencontre sont happés et modelés par les influences extérieures : la mode, les stars, les valeurs de l’argent et du pouvoir ; ils sont soumis à l’usage banalisé des drogues, avec une perte progressive de discernement entre le réel et le virtuel.

A quel moment dans l’éducation de ces enfants les a-t-on renvoyés à la réalité de leur vie intérieure, de leur conscience ? Guidés vers leur capacité de discernement, vers leur libre arbitre ? Préservés dans leur perception sensible d’eux-mêmes et des autres, de leur humanité ? Dans ce contexte de chaos, il faut leur faire prendre conscience de tout ce qui n’a pas été conscientisé avant !

Évoquer avec un jeune enfant « ce que son cœur lui dit », c’est tellement naturel et réel ! Avec un adolescent, mutilé intérieurement et carencé sur le plan psychoaffectif, retrouver le chemin de la conscience profonde individuelle est un parcours fort incertain.

Mieux vaut prévenir que guérir, dans l’intérêt de tous.

Lorsque je travaillais comme éducatrice de jeunes enfants, j’étais soucieuse d’accompagner les petits dans leur développement et leur autonomie, mais je ne situais pas l’aspect fondamental de l’éveil à la conscience individuelle dès le plus jeune âge. La suite de mon expérience professionnelle m’a démontrée, face au drame humain dont je suis témoin, qu’il est essentiel de renvoyer et de faire cultiver aux enfants leur capacité de discernement, de décision et leur sens des responsabilités en lien avec leur âge.

Je découvre, avec La leçon de professeur Hibou et le travail engagé par des enseignants, un outil éducatif fondamental pour la construction libre et équilibrée de l’individu et sa juste relation aux autres. Cette approche pédagogique avec les jeunes enfants me fait l’effet d’un souffle nouveau pour l’éducation dans son ensemble.

Télécharger cet article au format PDF