INERTIE DES CONSCIENCES ET CHANGEMENT SOCIAL

par Patrick Mignard.

On ne peut qu’être stupéfait pas l’attitude de la majorité des individus qui composent notre société : aller de manière aussi évidente à l’encontre de ses propres intérêts.

Que des patrons, des privilégiés, des racistes, des profiteurs votent pour un de leur représentant politique,… on le comprend parfaitement. Mais que des pauvres, des exclus, des chômeurs, des salariés, des jeunes votent pour le même personnage il y a là quelque chose d’apparemment incompréhensible.

Certes, va-t-on dire, il y a la propagande, les médias,… soit, mais ceci ne peut expliquer cela, ou du moins pas un phénomène aussi massif.

On pense, à tort, qu’il ne s’agirait que d’un déclin de la conscience et qu’une simple volonté de convaincre pour faire comprendre suffirait à renverser la tendance. Si c’était le cas, en effet, le travail inouï des militants sur le terrain porterait ses fruits… Or, tout ce travail a été fait en vain. Alors ?

UNE AMBIGUÏTÉ CONGÉNITALE

Paradoxalement la « révolution philosophique », celle du « siècle des lumières » si elle a réveillé les esprits a fini, dans le cadre du système marchand dont elle a permis l’émergence, par enfermer les consciences et les corps.

L’homme libéré de Dieu est devenu dépendant de lui-même, ou plutôt des structures économiques et sociales mises en place par des évènements historiques qu’il n’a pas toujours bien maîtrisés. Celles et ceux, en effet, qui, à l’occasion de ces évènements ont pris le pouvoir, ont habilement fait leurs les valeurs de cette nouvelle philosophie et les ont mises au services de leurs intérêts. Ainsi naquit un nouveau système économique et politique fondé sur des valeurs difficilement contestables… mais aux pratiques qui ont tôt fait de montrer que s’il en était l’héritier historique il en faisait un usage parfaitement contraire aux principes énoncés – voir toute l’histoire du mouvement ouvrier et de la colonisation.

Est née alors, une extraordinaire confusion ou malentendu dont nous pâtissons encore aujourd’hui.

Ce système fondé sur la liberté et l’égalité est de fait, sinon de droit, devenu, de fait, totalitaire – au sens étymologique du terme – dans la mesure ou il exclu toute possibilité de son dépassement… Il constitue un tout, une finalité au point que toute idée de dépassement est considérée soit comme utopique (le rêve), soit en contradiction avec les valeurs (donc « antidémocratique ») qui en principe le fondent mais qu’il détourne sans scrupule.

La contestation sociale, jusque là interdite a été peu à peu autorisée (loi sur la presse et les associations), mais en même temps elle a été codifiée et ce, de telle manière qu’elle entrait, et entre encore, dans ce qui est acceptable pour le système. Autrement dit on peut le contester mais à condition qu’il n’y ai aucune conséquence concrète, c’est-à-dire une remise en question.

L’histoire des conflits sociaux depuis le 19e siècle en dit long sur l’ambivalence, l’ambiguïté et les doubles discours tenu par ce système.

Mais il y a plus grave.

UNE CULTURE DE LA DÉPENDANCE

La citoyenneté qui avait été définie comme la quintessence de l’action, de la liberté et de l’indépendance de l’individu dans les affaires de la cité, a cédé la place à un mécanisme de confiscation du pouvoir qui s’exerce désormais dans un cadre strict, garant de la pérennité du système et confié à des individus qui n’ont qu’une seule mission : gérer le système… puisque de toutes manières « il ne peut y en avoir d’autre ».

On en arrive ainsi à une situation ubuesque: le citoyen peut tout à condition que ça n’ait aucune conséquence sur l’existence du système.

Toute l’Histoire du 20e siècle nous montre d’ailleurs comment le système marchand s’est efficacement défendu : répression, guerres, lois d’exception, fascisme… semant la confusion dans les esprits – par exemple en faisant croire que le fascisme n’a rien à voir avec lui ( ???) alors qu’il en est une production directe.

La manipulation de l’individu a atteint son summum quand le système marchand a fait croire que si l’on était responsable ( ?) et compréhensif ( ?), on pourrait répartir plus équitablement les richesses… et c’est ce qu’il a fait, dans une certaine mesure et pendant un certain temps : acquis sociaux, augmentation du pouvoir d’achat,… désamorçant ainsi toute contestation radicale… ce qu’il a réussi à faire car les conditions économiques le permettaient.

Ainsi, tout un système politique, sous le contrôle des gestionnaires du capital, s’est constitué, gérant les places des « représentants du peuple », les corrompant directement ou indirectement, les isolant le cas échéant, les finançant, directement ou indirectement. Le développement des médias a démultiplié le processus de manipulation au point qu’aujourd’hui la masse citoyenne est une masse d’assistés politiques, sans initiatives, sans projets, quémandant des « réformes » des « avantages », totalement dépendantes des promesses, des « bons vouloir » des programmes des candidats aux suffrages…

Le choix politique est libre, comme est libre l’âne attaché au puit et qui pompe l’eau au rythme qui lui convient…. à condition que l’eau monte.

Le citoyen est aujourd’hui parfaitement dépendant du système politique… et donc du système économique qui le soutend. Sa seule action se limite à désigner celles et ceux qui gèreront le système en place.

Sa dépendance porte un joli nom : respect des principes « démocratiques » ( ???)

PROBLÉMATIQUE CHANGEMENT SOCIAL

On comprend que dans ces conditions, le concept même de « changement social » est particulièrement complexe à définir. En effet, changer, mais changer quoi ? Le changement est présenté comme un changement interne au système, un réaménagement qui en aucun cas ne remettra en question ses principes. Le changement ne devient qu’un « ravalement de façade ». C’est ce qui s’est produit durant tout le 20e siècle dans les pays développés.

Au cœur de tous les discours politiques, tous sans exception, le changement social perd tout contenu concret et à fortiori stratégique. Le concept de changement social, devient une valeur en soi… On ne sait pas trop ce que l’on y met concrètement derrière, mais on est pour ( ?)… au point que tout le monde ( ?) est pour et que chacun y met ce que bon lui semble ( ?)…

En fait, et ce n’est pas un phénomène nouveau, le changement social, le vrai, celui qui transforme les rapports sociaux, ne va pas de soi, n’est pas automatique, n’est pas spontané, et ce dans tous les systèmes de l’Histoire… une inertie sociale existe, déterminée par la répression, l’idéologie dominante, mais aussi, on l’oubli trop souvent, et en particulier aujourd’hui, par le manque de perspectives, l’espoir de pouvoir améliorer sa situation sans bouleverser les rapports sociaux, la peur de l’inconnu,…

Quant aux mouvements de révoltes sporadiques, aussi justifiés soit-ils, aussi violents soient-ils, s’ils posent le problème, s’ils sont les symptômes des contradictions du système en place, ne sont absolument pas le prélude au changement. Les révoltes paysannes du Moyen Age, souvent en alternance avec une véritable dévotion « au bon maître », n’ont jamais été le moteur du renversement de l’Ancien Régime… c’est la Bourgeoisie commerçante qui l’a renversé… par sa pratique alternative.

Il y a aujourd’hui, indubitablement une inertie des consciences qui s’exprime par un conservatisme exacerbé. Lutter contre cette inertie ne peut se faire par une simple « contre propagande », aussi progressiste soit-elle… à ce jeu le système dominant est gagnant à tous les coups. Le « déblocage » des consciences ne peut se faire que lorsqu’elles deviennent actrices de leur propre destinée… lorsque leurs doutes, leurs espoirs prennent corps par une pratique concrète.

L’important aujourd’hui est de redécouvrir le véritable sens de : l’Homme acteur de son Histoire. Ceci demande de dépasser le cadre conservateur et mystificateur que nous impose le système dominant et dans lequel la majorité soit se complait, soit se « satisfait » faute d’autre chose.

Source : https://www.altermonde-sans-frontiere.com – 25.05.2007

Télécharger cet article au format PDF