LA COMMUNICATION NON-VIOLENTE À L’ÉPREUVE DU RÉEL

Par Diane Combes.

La Communication Non Violente (CNV) initiée par le psychologue américain Marshall B. Rosenberg(1)dans les années 80, fait partie de ce grand courant de pensées et de pratiques qui, pendant la seconde moitié du XXème siècle, a tenté de faire la synthèse entre les conceptions occidentales et orientales de l’existence.

L’approche purement rationnelle ayant montré ses limites, les psychologues, thérapeutes et penseurs se sont tournés vers les spiritualités orientales pour chercher une voie d’équilibre. De même que pour la Méditation de Pleine Conscience et pour la plupart des méthodes de connaissance de soi, une approche hybride a été créée. En laïcisant les traditions ancestrales, les chercheurs ont finalement exclu la dimension métaphysique qu’elles véhiculaient pour ne garder que des techniques de soin ou de confort.

Au lieu de rappeler aux humains leur fonction universelle au service de la Vie, ces techniques amputées de leur sens premier ne servent finalement que leur bien être de surface, leur développement personnel.

Ceci est bien entendu exploité par les logiques de rentabilité économique qui règnent en maître dans le monde. Quelle entreprise ne propose pas ses stages de gestion du stress, de méditation ou de CNV ?

Les êtres humains sont actuellement traités comme des aveugles à qui l’on donnerait des repères spatio-temporels pour se déplacer et agir dans le monde, alors qu’ils ne sont aveugles que parce qu’ils n’ouvrent pas les yeux ! Nous ignorons que nous pouvons voir et connaître ce que l’on a à faire dans l’instant, par le simple fait de se brancher sur la conscience universelle présente en chacun de nous.

Tout ce qui n’éveille pas à cette dimension métaphysique profonde, immanente en soi, détruit la spontanéité originelle de l’individu pour transformer celui-ci en un élément de masse qui obéit à des conventions sociales ou à des codes de comportement. Bien qu’issue de l’expérience authentique de son fondateur, la CNV n’échappe pas à cette dérive.

Sa mise en œuvre découlant d’une technique et d’un savoir plutôt que d’un changement d’état de conscience, la CNV court le risque de se transformer en un nouvel instrument de formatage et de domination.

Le bien être personnel visé n’inscrit pas le processus de la communication dans sa fonction première qui est de permettre aux êtres humains de collaborer dans leur mission existentielle, de favoriser l’interaction entre les individus et de révéler leur complémentarité. Sans accéder à la dimension spirituelle de la parole, on ne concrétise pas l’unité et l’harmonie entre les hommes.

La CNV se développe également dans le monde de l’éducation. On enseigne aux jeunes enfants les quatre étapes de la communication qui mènent à la satisfaction de ses besoins : observation des faits / identification et expression des émotions / reconnaissance des besoins / formulation d’une demande(2).

Cette recette appliquée de façon formelle aux situations peut, certes, contribuer à restaurer la relation entre des adultes malmenés par leur histoire, mais, apprise aux enfants, elle me paraît être un nouveau formatage où l’authenticité est remplacée par une « intention de bienveillance » qui peut s’imposer comme une obligation et engendrer de nouvelles formes de culpabilité.

Le contrôle de soi induit par la réalisation des quatre étapes de résolution d’un conflit risque fort de couper l’enfant de sa disponibilité naturelle à la sagesse intuitive qui jaillit de son cœur.

L’enfant est par nature empathique et bienveillant. Voici une scène qui s’est déroulée dans la cour de récréation de mon école, entre deux fillettes de cinq ans. M. et E. se disputent et E. pleure à gros sanglots. Je les prends à part et les invite à fermer les yeux, puis à demander à leur cœur ce qu’elles peuvent faire pour s’entendre. M. exprime d’abord qu’elle n’a pas de réponse, puis elle annonce : « J’ai besoin qu’E. soit à côté de moi, pour sentir. » Je demande à E. si elle veut bien venir s’asseoir auprès de M., ce qu’elle accepte. M. s’écrit alors : « Ça y est ! On peut faire les clowns ?! » Sur le champ, les deux fillettes repartent en riant.

On pourrait y reconnaître les quatre étapes de la CNV, mais doit-on les enseigner sachant que l’enfant est capable de trouver en lui-même ses propres réponses ? La conscience de l’enfant est comme une plaque sensible qui reçoit les impressions du monde et sait intuitivement y répondre en accord avec les lois de la Vie.

Toute méthode instituée collectivement comporte le risque d’enfermement psychologique, de formatage et de rigidité contraires à l’autonomie et à la liberté de conscience.

Les repères conceptuels que l’on peut formuler sur notre chemin d’évolution comme la présence, l’écoute, le non-jugement, la bienveillance, la lucidité, la responsabilité, la coopération etc. ne sont que des balises pour clarifier et encourager l’expérience directe.

Un enfant de cinq ans à qui l’on demandait pourquoi il y avait eu des disputes à l’école ce jour-là, a répondu : « Peut-être qu’on jouait mal et qu’il fallait accepter ce que le cœur disait… » Que peut-on ajouter à cela ? La prise de conscience que, nous, adultes, déformés par notre éducation, devrions nous abstenir de troubler la conscience claire des enfants avec nos principes, nos valeurs et nos procédés du passé qui ont conduit le monde où il en est.

Notes :

  1. Biographie et informations : https://www.babelio.com/auteur/Marshall-B-Rosenberg/26325
  2. Présentation par le mouvement Colibris : https://www.colibris-lemouvement.org/passer-a-laction/creer-son-projet/utiliser-communication-non-violente-dans-un-groupe

Source : https://www.vivrelibre.net – Mai 2018

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