À L’ÉCOUTE DE LA VIE

par le Dr Alfred TOMATIS (1)

«Ton fils n’est pas ton fils. C’est le fils de son temps.» Proverbe chinois

Chaque Être est imbibé dans une structure sonore qui le « sculpte ». Le son, c’est à dire le silence, ses diverses modulations et les bruits qui en rompent la trame, ne s’adressent pas seulement à l’oreille ; ils affectent le corps tout entier.

Profondément enfoui dans un cosmos qui l’enserre et l’emporte en sa course sidérale, l’homme est assurément la structure la plus complexe jusqu’alors élaborée. Or il est prouvé que l’univers en sa totalité n’est que la réponse phénoménologique d’une intentionnalité créatrice pour laquelle tout fut programmé et exprimé sous forme d’énergies émanant d’une source unique. La multiplicité de ces énergies et leurs interférences provoquèrent par leur inter-réaction les diverses cristallisations qui permirent au monde d’exister. En fait, tout est énergie. Et énergie en devenir. Dans sa constitution, l’homme est le modèle surgissant de la convergence des multiples champs énergétiques qui firent de lui le cristal organique le plus sophistiqué qui soit, tenu en suspension dans ce bain cosmique en permanente évolution. En ce sens l’homme apparaît comme un résonateur parfait convié à s’accorder aux harmonies dont les lois gouvernent le monde.

Mais souhaite-t-il être vraiment cet écho de l’univers ? Obnibulé par son désir d’indépendance, oublieux de son intimité avec la création, il verra poindre en lui l’angoisse, celle-là même qui le plonge dans le désespoir de n’être qu’un infiniment petit face au large déploiement de l’univers. Dès lors, allant jusqu’au bout de son égarement, il réagira maintes fois en se considérant comme le centre du monde. Ainsi redoutant d’être rien, il prétendra être tout. Est-il besoin de préciser qu’il n’est ni l’un, ni l’autre.

Solidaire malgré lui de l’ensemble cosmique, il réfléchit les énergies qui convergent vers lui. Il devient un transducteur fabuleux de ce que l’univers lui dicte. Extraordinaire récepteur, dans la mesure où il se livre à cette dynamique, il est alors appelé à traduire comme allant de soi ce que la création lui enseigne. C’est-à-dire que tout homme est promu, pour peu qu’il s’abandonne, à être l’écho des chants de l’univers.

« Pour peu qu’il s’abandonne ». C’est là que le bât blesse. Rien en lui, en sa chair, en son éducation ne le prépare à être ce qu’il est vraiment c’est-à-dire ce récepteur-émetteur unique.

Présomptueux, il prétend découvrir ce qui lui est offert ; il s’accorde un génie qui n’est pas le sien ; il se leurre en s’octroyant les pouvoirs qui lui sont prodigués. Il est de fait un transformateur d’énergies en activité mis au service de la collectivité humaine. Tout en lui ne devrait être qu’une sécrétion naturelle qui s’exprime au bénéfice de la communauté des hommes afin que l’univers puisse se révéler.

Voilà bien des prémices engageantes, et pourtant combien de fois l’on déplore qu’il n’en soit pas ainsi.

Entraîné par le temps, l’homme aspire à son accomplissement ontologiquement ancré en son tréfond tout en lui opposant des résistances qui illustrent tout à la fois sa propre histoire et celle que jalonnent les fluctuations de l’évolution.

II est vrai que le devenir, sous l’égide d’un programme préétabli, conduit inéluctablement l’homme à être tôt ou tard sur sa courbe orbitale. Mais on sait que, délaissant ou négligeant le devenir sans doute sous la pression que lui offre le libre arbitre, il en décide autrement. Il opte pour son avenir. Néanmoins le devenir emporte l’homme quand bien même il semble lui échapper tandis que l’avenir s’inscrit comme l’événement du moment dans lequel il se trouve personnellement concerné.

Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit en aucune manière d’un réductionisme laissant entrevoir un fatal déterminisme. Il n’en est rien. Au contraire. Etre orbitalement lancé, c’est acquérir la totale liberté d’action, dans une dynamique bien spécifique. Celle où l’humain dans l’homme peut éclore, croître et s’épanouir en communion avec l’univers lui-même dont on connaît la quête d’absolu. Que l’homme devienne cet ingénieur transmetteur implique donc qu’il fonctionne dans un certain sens comme un exceptionnel satellite, branché directement sur son Créateur et dont la vocation sera de remplir les fonctions qui lui sont dévolues.

Si bien que l’on peut songer que l’homme est une sorte de phénoménale antenne munie d’un fabuleux ensemble intégrateur… Mais puisque nous arrivons au point même où il me plaît de vous conduire, je préciserai que l’homme est une oreille en totalité.

Dire de lui qu’il n’est qu’une oreille peut être considéré comme une restriction intolérable, tant nous restons enfermés dans la gangue de nos conceptions habituelles concernant cet organe. Et cependant je reste persuadé que nous sommes encore bien loin d’avoir tous les points forts qui justifient cette affirmation.

En effet, l’oreille humaine connue ordinairement comme appareil sensoriel, ne nous dévoile qu’imparfaitement ses potentialités. Celles-ci, beaucoup plus nombreuses que l’on a coutume de le penser, sont elles-mêmes induites par une faculté toute particulière, celle de l’écoute.

Tout ce que que nous venons d’énoncer montre que le fait d’être en relation avec la dernière étoile comme avec nos atomes nous invite à être en communication, au sens fort du terme, avec toutes les entités qui constituent l’univers, celui-ci n’étant en réalité qu’un plasma énergétique.

La faculté d’écoute s’inscrit ici en lettres d’or. Elle fait de l’homme ce qu’il doit être. Mais on sait à quel point ce dernier refuse de s’y livrer. Il prétend écouter alors que en fait, c’est l’écoute qui le happe. Seule sa présomption le conduit à entendre.

Dès lors il quitte son devenir pour plonger dans le futur immédiat, celui-là même de son avenir. Il perd ainsi la notion d’être pour se promouvoir dans un périple existentiel aux méandres sans fin qui constituent les arcanes de la psychologie. Le devenir est donc la réalisation de l’être sous l’égide de l’écoute permanente, tandis que l’avenir n’est autre que le cursus existentiel sous la vigilance vacillante de l’entendre.

On pourrait exprimer en d’autres termes ce que nous venons d’énoncer.

L’évolution énergétique se manifeste à l’être qui est à l’écoute. Par contre, les tribulations quotidiennes de l’homme répondent aux résistances qu’il offre à la dynamique qui le soustend, l’anime et l’emmène malgré lui. A partir de ces freinages systématiques, de ces refus permanents, de ces blocages multiples se bâtit hélas l’avenir.

L’homme est assurément génial pour perturber le profil de sa trajectoire humaine. Dieu merci, le souffle de vie est tel que toutes ses fantaisies finissent par n’être que des curiosités du moment. Celles-là mêmes constituent au présent actuel, germe de l’avenir prochain, cette société dont nous sommes conviés à partager les tribulations.

Notre but n’est pas de faire le procès de ce qui se passe en ce monde. Chaque temps de l’histoire a eu ses moments forts et ses sombres décadences. Et chacun ici bas n’a que trop tendance à se plaindre, à s’attarder sur les misères qui l’entourent sans pour autant d’ailleurs intervenir en vue d’un mieux-être. Ce que nous nous proposons de faire, c’est d’évoquer l’un des moyens permettant à tout homme de s’engager sans encombre dans son devenir. Il est évident que ce que nous avançons est le fait d’une vision personnelle. Elle repose cependant sur une neuro-physiologique vieille de plus de quarante ans susceptible d’apporter quelque crédibilité aux arguments que nous irons développer à l’occasion de cette rencontre.

La preuve n’est plus à faire que la naissance n’est qu’un passage qui conduit de l’état embryo-fœtal à celui de fils de l’homme.

Dès la conception, l’embryon est un être à part entière pour certains, tandis qu’il n’est rien pour d’autres. De fait, il en est tout autrement. L’Etre, que j’inscris volontiers avec un grand E, est déjà avant que l’acte de procréation soit. Qu’on le veuille ou non, ce dernier fait appel également à cette programmation dont nous venons de parler.

Certes à l’échelle humaine, nous semblons les maîtres du système. C’est uniquement parce que nous sommes des observateurs immédiats et de courte portée. Il en est tout autrement pour celui qui sait se livrer à une objectivation réelle résultant d’une distanciation accrue, sorte de recul exponentiel et dans le temps et dans l’espace. Pour celui-là, pour celui qui a ainsi atteint le moment du commencement, de l’initio, pour l’initié à vrai dire tout ce qui passe n’est que le résultat d’une régulation de haut niveau qui échappe à nos processus de pensée.

Il est probable que si la conscience était presque telle qu’elle s’exprime phénoménologiquement, l’homme serait confronté avec un univers dont il découvrirait, comme allant de soi, et les lois et leur finalité.

Ce bref préambule n’a donc d’autre but que de nous introduire dans l’étude des phénomènes neuro-physiologiques qui ontologiquement conduit l’homme en son devenir. Il sera ensuite aisé d’y plaquer ça et là les impedimenta issus du génie humain destinés à l’enfermer dans les rails de son avenir. Le devenir, on se souvient, engage l’homme dans sa dimension cosmique en tant que fabuleux satellite décoché ici-bas pour exécuter et mener à bien sa mission. L’avenir, je le rappelle, éconduit l’homme de sa trajectoire et le fait se perdre dans l’événement psychologique voire psychiatrique, cependant qu’un essentiel garde-fou le protège, la souffrance ou la pathologie si mal comprise. On le verra, mieux vaut donner son corps que de perdre son âme. Né depuis le commencement même de la création, chaque être prétend se réaliser au risque de se fourvoyer dans une dynamique existentielle. Si, pour lui, la meilleure fortune paraît être celle de ne pas être, il peut alors donner cours librement à son refus d’obéir aux instances dictées par la vie. Il est bien entendu que cette dernière n’est, dans sa dénomination, que de l’énergie exprimée en terme biologique.

La vie poursuit sa route, insufflant malgré toutes les résistances et avec une incroyable générosité, ses permanentes impulsions.

Ainsi emporté par le temps et perdu dans l’espace l’homme s’enfonce dans la recherche de son avenir, oublieux qu’il est de son devenir. Et dès lors, il se trouve devant deux alternatives : s’enfouir dans l’angoisse jusqu’à la déraison, grâce à la rationalisation de ses propres montages ou somatiser afin que son corps lui vienne en aide.

On le verra ainsi en équilibre sur l’arête qui sépare deux abîmes : d’un côté l’aliénation progressive, de l’autre la plongée dans les arcanes de la pathologie fonctionnelle ou organique.

Notes :

(1) Alfred Tomatis, né à Nice le 1 janvier 1920 et décédé le 25 décembre 2001, a été docteur en médecine de la Faculté de Paris, oto-rhino-laryngologiste et spécialiste du traitement des troubles de l’audition et du langage.

Dès 1947, il entrepris des recherches dans les domaines de l’audiologie et de la phonologie qui aboutirent à la formulation d’un certain nombre de lois qui portent désormais le nom d’Effet Tomatis (communication de Mr. Husson à l’Académie des Sciences et à l’Académie de Médecine en 1957).

Ces découvertes approfondissent les liens étroits qui existent entre l’oreille, la voix et le système nerveux.

Le docteur Tomatis a créé un ensemble de techniques d’éducation et de rééducation qui sont appliquées dans environ 200 centres répartis dans le monde entier.

Cette nouvelle discipline s’appelle l’Audio-Psycho-Phonologie.

Cette Méthode originale porte sur les relations existant entre l’oreille et la voix, et par extension entre l’écoute et la communication: il s’agit, en fait, d’une pédagogie de l’écoute, dans la mesure où elle permet au sujet de retrouver le désir de communiquer en apprenant à utiliser au mieux le système auditif dont il dispose.

La Méthode TOMATIS est fondée sur trois lois, qui ont fait l’objet de communications en 1957 et 1960 aux Académies des Sciences et de Médecine de Paris; ces lois définissent l’ « Effet TOMATIS » et s’énoncent comme suit:

– La voix ne contient que ce que l’oreille entend.

– Si l’on modifie l’audition, la voix est immédiatement et inconsciemment modifiée.

– Il est possible de durablement modifier la phonation par une stimulation auditive entretenue pendant un certain temps (loi de rémanence).

Il ressort de là que : « Si l’on restitue à l’oreille la possibilité de percevoir correctement les harmoniques perdus ou compromis, ceux-ci sont instantanément restitués dans l’émission vocale ou instrumentale ».

Source : Revue Médecines Nouvelles – 1er semestre 1990

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